La langue savoyarde (ou patois)

1- Origine de la langue

Comme cela se pratiquait autrefois dans toutes les régions, constituant aujourd’hui la France, les habitants utilisaient une langue locale : français,  breton, alsacien, lorrain, picard, basque, gallo, occitan, normand, béarnais, provençal, corse….. . En Savoie, on parlait le savoyard qui, avec les parlers  voisins du Lyonnais, de la Bresse, de la Vallée d’Aoste, de la suisse romande,  constituent ce qu’on appelle  le groupe francoprovençal.  Cette appellation a été choisie, en 1873 par un auteur valdotain, un peu à tort car ce n’est ni du français, ni du provençal, c’est pourquoi certains préfèrent utiliser le mot « arpitan »  pour éviter les confusions (ce mot a été créé à partir de la racine arp qui signifie « alpage » et qui figure dans beaucoup de noms locaux, comme Arpettaz, Arpeyron, Arpiane… ).

La langue savoyarde n’est donc pas un simple patois qui serait du français déformé par des personnes incultes mais une vraie langue qui s’est développée à partir des parlers des premiers habitants de la région et qui s’est enrichie et modifiée avec  l’arrivée de populations nouvelles : allobroges,  romains, burgondes… Avec la langue d’oil (au nord), la langue d’oc (au sud) et le francoprovençal au centre est, on a l’ensemble des parlers qui se pratiquaient  dans le territoire de la France actuelle, du moins si on ajoute le basque et le corse.

2- Le français remplace le patois en Savoie

Le français était la langue locale de l’Ile de France et du Val de Loire. C’est-à-dire dans la région où habitait le roi.  Louis IX est le premier roi de France à s’exprimer publiquement en français et à imposer cette langue à l’Administration à la place du latin.  Le français étant la langue du roi, il prit   peu à peu le dessus sur les autres langues locales et surtout parce qu’il était une langue écrite qui remplaçait le latin dans les actes officiels et aussi dans les relations commerciales, alors que la plupart des langues régionales, comme le savoyard,  sont restées des langues uniquement parlées  dans leur région d’origine.  Elles n’ont pas résisté devant la volonté unificatrice de la IIIème république, à  la généralisation de l’école obligatoire et au service militaire. Globalement, on peut dire  que rares sont actuellement les familles dans lesquelles  on pratique habituellement le patois savoyard et,  même, rares sont les Savoyards vivant actuellement qui s’exprimaient en patois en parlant à leurs parents lorsqu’ils étaient enfants.

A noter que le patois a résisté plus longtemps dans les campagnes isolées situées loin des villes et des circuits commerciaux. Mais, malgré tout on a constaté que les paysans de la montagne connaissaient jadis mieux le français que les paysans des plaines. La raison est simple : ils en avaient besoin car nombreux étaient les paysans qui allaient en France voisine pour trouver du travail et il leur fallait donc parler le français et souvent savoir l’écrire. Depuis la fin de la dernière guerre  de 1939-1940, la population paysanne des régions de montagne a fondu comme neige au soleil, ceci a conduit à la baisse des locuteurs de patois et ceux qui sont resté se sont reconvertis au tourisme et au ski et dans ces domaines on sait qu’il est plus utile maintenant de connaitre l’anglais que le patois.

On peut noter aussi, que le patois s’est appauvri depuis que le français est devenu la langue officielle en 1539, simplement par le fait que tous les choses nouvelles étaient désignées par des mots français. C’est ce que l’on constate aujourd’hui avec les mots anglais qui envahissent la langue française.

En Savoie, on a parlé français à la cour des comtes dès le 13ème siècle, puis la langue s’est diffusée dans la haute société et à la bourgeoisie instruite. L’occupation française de 1536 a fait que s’est appliqué en Savoie la célèbre ordonnance de Villers Cotterêts  de 1539 par laquelle le roi François  Ier  remplaçait  le latin par le français  dans les actes de l’administration de la justice  et dans les registres paroissiaux (faisant fonction alors d’état civil) .    Cette disposition    s’est,  semble-t-il, appliquée facilement  car on trouve des registres paroissiaux de 1542 tenus en français, ce qui montre bien que les curés connaissaient le  français mais, sans doute,  ont-ils continué aussi à parler  savoyard encore longtemps, surtout à la campagne. Mais le prêche devait se faire en français. Le français était la langue de la religion même si des prières de la messe ont continué à se dire en latin pendant longtemps. Mais, il y avait bien longtemps que les curés ne prêchaient plus en latin. Déjà au concile de Tours en 813, les évêques conseillaient  d’employer les langues populaires au lieu du latin auquel personne ne comprenait plus rien. L’école devait aussi se faire en français, d’ailleurs « aller à l’école »  c’était, le plus souvent,  d’abord apprendre le français.
Dès qu’il récupéra ses états en 1559, Le duc Emmanuel -Philibert, aligna  la norme avec l’usage en confirmant  l’usage du français en Savoie et en Vallée d’Aoste  et de l’italien (toscan) en Piémont. Un autre édit  de 1720 affirma la primauté de la langue française dans les états de la Maison de Savoie. La constitution de 1723 est écrite en français et  en latin.

On peut aussi rappeler qu’un des pères de la langue française moderne est le Savoyard Claude de Vaugelas (1585-1650) qui écrivit  ses « Remarques sur la langue française »  dans le but de montrer le bon usage de la langue. Il fut l’un des premiers membres de l’Académie française créée par Richelieu en 1535 dont l’objectif était de créer une langue commune et officielle. On dit que toute la France mit un point d’honneur à « parler Vaugelas ».

3- Situation actuelle

Cependant si,  actuellement,  le savoyard n’est pratiquement plus  parlé nulle part en Savoie, il existe  des personnes et des associations qui militent pour éviter que cette langue soit complètement oubliée, par exemple en organisant des cours, des soirées « patois ». Mais, si la langue n’est plus parlée couramment, il en reste des traces nombreuses dans des expressions, dans des patronymes  et dans des toponymes, notamment quant à la prononciation  qui est parfois  différente de celle du français.

a-Particularités de vocabulaire et de la grammaire, expressions, barbarismes

Il existe de nombreux « savoyardismes », qu’il s’agisse de mots particuliers, de tournures de phrase, de l’emploi du masculin au lieu du féminin et vice-versa… Un certain nombre se retrouvent dans les régions voisines (Lyon ou Franche Comté).

Exemples : fruitière (coopérative),  gouille (creux rempli d’eau),  fion (pique, mot blessant), panosse (serpillière), patte (chiffon), coffe (sale), nant (ruisseau), roiller (pleuvoir à verse),  fidé (vermicelle),  dérocher (tomber d’un rocher), cotter la porte (fermer à clé), gringe ( grognon, grincheux), apondre (allonger), aponce (ajout), fayard (hêtre), il a demandé après toi, il est mais là (encore là), se marier en gindre (gendre devant aller habiter chez son beau-père), faites seulement (à votre gré), prendre du souci (songer à partir), faire la vie (mener une vie dissolue), faire des gôgnes (faire des manières), faire la potte (faire la moue),  qui s’est pour un? on a personne vu,  ça c’est eu vu, on y a assez vu, faire les commissions (les courses), chaler la neige (marcher dans une bonne couche de neige), une almanach, une arrosoir……
Par ailleurs de nombreux noms de lieux viennent directement du patois, ils perdent leur  signification en français. Ex : le Mollard (talus), le Plan (plat), les Mouilles (terrain marécageux)….,

Les septante, huitante et nonante ont  disparu mais ils résistent encore en Suisse romande.

b- Prononciation des mots  terminés  en x ou z

Dès lors qu’on utilise la langue française, les problèmes de prononciation ne se posent que pour les mots n’existant pas en français et propres à la Savoie. Il s’agit essentiellement des noms de lieux et de personnes . Certes,  un certain nombre de ces noms ont été francisés, par exemple la Combaz est devenue la Combe.

L’emploi des lettres  x et z est  apparu  dès les 10/11ème siècle et il a été  généralisé lors de l’arrivée de l’imprimerie au XVème siècle. N’ayant pas  d’emploi en savoyard, ces lettres ont été  utilisées comme des signes pour donner des indications particulières propres à la langue savoyarde. Elles ont donc la même fonction que les accents en français mais qui ne sont apparus qu’au début du 16ème siècle et plus tard pour l’accent circonflexe.

– terminaison ex  ou  ix : indique que l’accent tonique est placé sur la dernière  syllabe du mot. En outre, le e se prononce é (ex: Bex se prononce Bé, Excenevex se prononce Excenevé,  Chamonix se prononce Chamoni),    D’ailleurs, on peut noter qu’il existe aussi des terminaisons  en ez en français qui se prononcent é par exemple nez, assez, vous prononcez…

– terminaison az, oz, uz : le z indique que l’accent tonique  se porte sur l’avant dernière syllabe  et non  sur la dernière   mais  cette  dernière n’est pas  muette, on entend le a , le o ou le u mais légèrement  (ex: La Clusaz, se prononce La Clusa,  Trincaz…Trinqua.,  La Paraz …….la Para,   Chevenoz ……. Cheveno,    Joennoz……Joenno    ,             Amoudruz ….. Amoudru,     Cruz…..Cru ).

Lorsque le mot ne comprend qu’une syllabe, le z n’ajoute rien si ce n’est une fioriture. Dans beaucoup de registres paroissiaux, on voit que Cruz est souvent écrit Cru.
NB : la difficulté de compréhension de ces particularités vient du fait qu’il n’existe pas en français d’accent tonique  comme il en existe  en  savoyard, en italien , anglais ou en d’autres langues.  Mais en français, le e placé à la fin des mots est muet s’il n’est pas accentué, si l’on veut le son é, il faut mettre  un accent)

c- Mots en « ens » : prononciation « in »  comme dans « magasin »: ex: Lens, Mens, Bassens, Cessens, Thorens…

Samoens se prononce Samo-ens, c’est à dire « samoin ». De même Bergoen, souvent ce mot est écrit Bergoin pour respecter la prononciation française. François de Sales écrivait Thorin pour Thorens. En Suisse, il y a Morgens  qui est écrit depuis longtemps Morgins.

A noter qu’on n’a jamais parlé italien ou piémontais en Savoie même quand la cour du duc ou du roi vivait à Turin. De même, les députés savoyards au parlement de Turin pouvaient s’exprimer en français jusqu’au rattachement à la France en 1860. Mais, il n’est pas douteux que les classes dirigeantes et les personnes qui avaient fait des études supérieures à Turin, connaissaient aussi l’italien et le piémontais.

Quelques  auteurs ont écrit des textes en langue savoyarde en se servant du français mais c’est un exercice pas toujours aisé car le savoyard est une langue parlée, sans règles précises, donc il y a de nombreuses variations locales et, surtout, il y a  des sons  qui n’existent pas en français et qui sont  donc difficiles à transcrire correctement.  Par exemple, il est facile de traduire le « non » français en écrivant et prononçant  « na », mais pour « oui » on peut écrire  « ouai » alors que la prononciation exacte  est celle du mot anglais anglais « why » . Ou pour dimanche : « d’minge » , la lettre « g »  (pour traduire approximativement le ch) doit se prononcer comme le « th »  anglais. Même chose pour Noël, le ch de Challande  se prononce comme le th anglais. C’est pareil pour le mot bien connu « monchu » pour désigner « un monsieur », en fait un touriste, où le ch se prononce comme le th anglais et quand on veut parler en français on dit « monsu ».
Par ailleurs, la population ne connaissant pas la langue écrite, il  il est fréquent que des syllabes soient « mangées ». Exemples : d’minge,  dimanche),  v’ni  (venir), ar’vi (au revoir)….

Parmi les auteurs les plus connus qui ont écrit en savoyard,  on peut citer Marguerite d’Oingt (1240-1310) qui écrivait en latin, en francoprovençal et français de l’époque. C’était une religieuse, elle devint supérieure de la chartreuse de Poleteins située sur la paroisse de Mionnay dans la Dombes  ( a disparu en 1605). Elle écrivit notamment ses Méditations destinées à l’éducation et à l’édification de ses religieuses.

Il y a surtout  Amélie Gex,   née en 1835 à la Chapelle Blanche et décédée en  1883. Elle était la fille d’un médecin. Elle fit des études chez les religieuses, géra le domaine agricole  de son père, fit du journalisme. Elle écrivit en français et en savoyards. Connaissant bien le milieu agricole, elle écrivit  beaucoup sur la vie rurale en Savoie, les travaux des champs, les fêtes, les joies et les peines de la vie, les croyances locales, en mettant toujours en avant le bon sens et la morale des Savoyards.

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